Je me lève de ma petite sieste. Pour garder le rythme lors de ces voyages, il est important de bien se reposer. Comme les nuits sont froides et peu reposante, je tente au maximum de me reposer durant la journée. Je m’enfile un petit dîner rapide et on repart retrouver nos caribous. On les retrouve facilement pratiquement au même endroit où on les a laissés. Ils sont assez facilement reconnaissables dans le décor orangé. De petites boules blanches qui courent, ça détonne.
Le soleil déchire les nuages le temps de quelques dizaines de minutes. Ça fait changement de la lumière douce des nuages que l’on a eu toute la matinée. C’est particulièrement beau car le fond est foncé. L'éclaircie est sur nous mais nul part autour. Le mâle est toujours aussi actif à chasser les jeunes mâles. Il émet un son particulier qui me fait penser un peu à un grognement, un raclement de la gorge. Un son sourd, grave, quelques notes successives. Il lève alors la tête en tendant la bouche vers l’avant en ouvrant les narines. La scène est intéressante, très typique des caribous. Contrairement à ses cousins orignaux et wapitis, le caribou est plutôt silencieux. Ils ne sont pas très vocaux, ni les femelles ni les mâles.
À un certain moment, le mâle chasse un jeune mâle qui s’enfuit. Le dominant ne le lâche pas et court longtemps en sa direction. Le jeune s’enfonce alors dans un sentier qui passe dans une forêt dense, suivi du grand mâle. Toute la harde s’empresse de les suivre alors. En dedans de quelques secondes, il n’y a plus aucun caribou. On prend place sur le sommet du plateau pour regarder partout autour où ils vont réapparaître. Préférant les plaines et les plateaux aux forêts denses, on est certain qu’ils n’y resteront pas très longtemps. Comme de fait, quelques minutes plus tard, ils ressortent dans une petite prairie orangée. On se met en route pour aller les rejoindre.
C’est un drôle d’endroit. C’est une petite enclave, un petit pré entouré de forêt de tous les côtés. On y retrouve du foin et des herbes. Une petite ouverture donne sur la plage, on entend le son des vagues tout près. On est à quelques mètres de l’eau. Les mêmes scènes se répètent mais dans un décor différent cette fois. Intimidation, chasser les jeunes, s’occuper des femelles. Cette fois-ci, on sent plus que l’on est en forêt car il n’y a pas de ciel du tout derrière. J’aime bien pouvoir réaliser des prises de vue variées lors d’un voyage. On pourrait même croire que je suis avec une harde complètement différente.
Je me poste tout près d’un petit arbre. Avec toute cette agitation à l’intérieur de la harde, je me garde toujours une petite porte de sortie au cas où le mâle me chargerait. En fait, je ne crains pas vraiment le mâle dominant. Depuis le début de notre rencontre, il nous tolère très bien. C’est même plutôt surprenant. Il semble comprendre que nous ne sommes pas un jeune prétendant à son titre. Il nous ignore complètement. À un moment, un jeune mâle s’approche de moi. Il est à quelques mètres, puis à quelques centimètres. À ce moment-là, je me servais de mon sac comme d’un trépied. Il est donc posé devant moi. Je dépose à ma droite mes deux caméras car le caribou se met à sentir mon sac, et même à le lécher. J’avais sorti mon téléphone pour filmer le tout. Le mâle dominant, observant la scène, avait décidé que ça en était trop et partir en notre direction pour chasser le jeune. Moment de frayeur, le jeune qui était maintenant à quelques centimètres de moi, bondit entre moi et le sapin à ma droite pour passer derrière moi. Le mâle s’arrêta net après que le jeune fut parti, et reprit son alimentation. Plutôt étrange comme comportement. Désirait-il que le jeune ne s’approche pas de moi?
La lumière devenant très faible, on décide, Philippe et moi, de quitter. On rentre par la plage. Le coucher de soleil est tout simplement magnifique. Des couleurs rouges illuminent les nuages sur une bonne partie du ciel. À peine 50 m parcourus qu’en se retournant, on se rend compte que la harde est maintenant tout près de la plage. Comme le dit le proverbe, « ce n’est pas fini tant que ce n’est pas fini ». On ressort les caméras et capture quelques images supplémentaires avec le peu de lumière qu’il reste.
Là, c’est vraiment la fin. La luminosité est trop faible pour continuer de faire des photographies. On range l’équipement et on quitte. On est à environ 100m de la harde qui lèche le bois et les rochers pour le sel. On leur tourne le dos et on part dans la direction opposée. J’entends un son derrière, je me retourne. J’aperçois un jeune mâle qui court en notre direction sur le petit sentier, poursuivi par le mâle dominant. C’est ça qui est plus dangereux, se retrouver entre le grand mâle et un jeune mâle ou être sur leur chemin lors d’une chasse. Ils se dirigent à vive allure vers notre direction. J’averti Philippe, et lorsqu’ils sont rendus trop près, on se jette dans les sapins sur notre droite. Les caribous s'arrêtent directement à ma hauteur sur le petit sentier. J’aperçois au travers des branches le mâle, à 2-3m de moi tout au plus. Je reste immobile. Il n’en a pas après moi, mais là je suis à une distance très inconfortable. La harde finit par retourner par la forêt dans le pré d’où on arrive. Je me relève le cœur débattant, je regarde mon ami en ne réalisant pas vraiment ce qui vient de se produire. Définitivement, ce n’est pas fini tant que ce n’est pas fini.
Une bonne manière de savoir si la journée a été bonne pour moi, c’est lorsque je me couche le soir. Lorsque je ferme les yeux, j’aperçois les caribous. Je me remémore ces attitudes, ces comportements, leurs traits, leur regard. Lorsque je ferme les yeux et que j’aperçois mon sujet, c’est qu’il m’a marqué. C’est signe que la journée à été bonne.