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  • Photo du rédacteurJérémie Leblond-Fontaine

Hiboux urbains

J’ai toujours été fasciné à quel point la faune pouvait s’accommoder aisément de la présence humaine. En fait, certains animaux, pas tous bien évidemment. Au fil des années, j’ai remarqué que certaines espèces étaient plus enclines à être approchées et à être photographiées, et ce sans que je ne les dérange. Ce fut le cas de bien des orignaux, renards, chouettes et hiboux par exemple. Certains individus sont plus farouches, d’autres moins. On pourrait faire la comparaison avec les humains. Certains sont plus sociaux, d'autres le sont moins.


Au fil des années, j’ai également remarqué que bien des animaux sauvages s'accommodent très bien d’un milieu urbain. La présence d’animaux domestiques, des promeneurs, des bruits incessants des voitures ou des avions. Ça m’a toujours fasciné. Moi-même, je suis peu enclin à apprécier un moment en nature lorsque je suis constamment dérangé par des chiens qui aboient, des avions qui passent ou des promeneurs qui parlent fort (pour ne pas dire hurler).


Depuis quelques années, j’ai donc rencontré maintes espèces et individus dans des contextes urbains. Alors que je guidais un atelier, j’ai entamé une conversation avec un photographe rencontré sur place et celui-ci me fit mention d’un groupe de hiboux des marais présents en périphérie d’une grande ville de l’Est du Canada. J’ai souvent rencontré cette espèce dans des contextes naturels (ou agricoles puisque c’est là qu’ils chassent), mais en milieu urbain ce serait une première. Je trouvais pertinent de mettre en lumière cette cohabitation dont peu de gens sont conscients.


Ayant quelques jours de libres, j’ai donc décidé de me rendre sur place après mon atelier pour capturer le tout. Quelques heures de route plus tard, je suis sur place en milieu d’après-midi. Cette espèce est principalement active la nuit, mais parfois on a la chance de commencer à les voir chasser en fin de journée. La matinée, on peut les voir encore éveillés mais c’est plutôt rare de les voir en vol. Je n’ai pas nécessairement le but de les photographier en action, mais j’aimerais tout de même démontrer à travers mes images la proximité de la ville.


Première soirée plutôt infructueuse. Je repère un individu dans un arbre. La lumière est vraiment moche. Le hibou est bien caché à l’intérieur d’un conifère dense, ce qui rend la possibilité de bien le photographier impossible. Mon espoir est alors qu’en fin de journée, il sorte. J’attends donc patiemment. La température est légèrement froide mais serait tout de même confortable ne serait-ce de ce vent soutenu à 30-40 km/h. Ces oiseaux n’aiment pas particulièrement les vents forts car ils sont plus vulnérables. Cependant, ils doivent tout de même se nourrir donc il reste quand même des chances de le voir sortir de son arbre.


La fin de journée arrive. Le coucher du soleil est magnifique. Le hibou, lui, reste de glace. Il est profondément endormi malgré tous les bruits ambiants. Des avions grondent au loin, des enfants glissent en criant sur une colline non loin de là. Les yeux bien fermés, j'espérais tout de même qu’il se nettoie pour se préparer à son décollage. Rien.


Une heure après le coucher du soleil, je ne vois plus rien à l’œil nu. À travers le viseur de l’appareil, je peux voir assez bien l’oiseau. Rien. Les yeux encore bien fermés, la noirceur s’est bien installée. Je quitte alors bredouille pour mieux revenir le lendemain. Je retourne à ma voiture qui sera mon campement pour les deux prochains jours. Camper l’hiver n’est pas super confortable mais c’est quand même pas si mal. Je peux donc coucher à proximité du site et être sur place dès les premières lueurs du jour.


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Au réveil, une neige recouvre la voiture. En fait, certaines parties car le vent souffle à plus de 60 km/h maintenant et balaie la neige vers un côté de l’automobile seulement. En campant par temps froid, le pire moment est celui où on doit sortir du sac de couchage pour démarrer la voiture et se réchauffer un peu pour déjeuner. Déjeuner qui sera assez sommaire, des tranches de pain avec des cretons, un classique en camping.


Je prépare les équipements et pars à la recherche des oiseaux. Étonnamment, je retrouve le même hibou exactement au même endroit que la veille. Il s’agit définitivement de son dortoir habituel. Le ciel est voilé par la neige qui virevolte, mais de petites éclaircis de soleil finissent par trouer le voile et atterrir sur le hibou. Je réalise quelques images certes intéressantes mais qui ne sont pas vraiment le résultat que je recherche ici.



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Je continue mes recherches ailleurs dans le secteur. Je jette un œil aux conifères que je croise dans l’espoir de trouver un autre hibou. En passant près d’un cèdre, j’effraie un oiseau qui s’envole immédiatement et se pose dans un sapin à quelques mètres. Le cèdre est tellement dense que jamais je n’aurais pu y trouver un oiseau. Je vois bien la silhouette de l’oiseau dans le sapin : un deuxième hibou des marais. Il faut savoir que ces oiseaux sont souvent en groupe en hiver. J’en ai déjà vu jusqu’à une quarantaine ensemble.


Je laisse passer plusieurs minutes pour que l’oiseau se relaxe. Je ne veux pas qu’il me perçoive comme une menace. Habituellement, les oiseaux vont finir par s’endormir, ou fermer les yeux du moins. Mais aujourd’hui, les vents sont tellement forts que même ce gros sapin chambranle. Les cèdres derrière moi n’étaient guère plus stables. Ils valsent au gré des rafales. Ces mouvements des arbres font en sorte qu’après plus de trente minutes à attendre que l’oiseau se tranquillise, il a encore les yeux bien ouverts. Je m’approche donc tranquillement et réalise plusieurs images de celui-ci bien éveillé. La lumière est sublime sur lui. Difficile d’avoir un angle dégagé, mais j’aime bien ces photographies où on voit l’animal bien caché dans son environnement.



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Après avoir capturé plusieurs images, je m’éloigne à environ 100m. J’ai toujours une vue sur l’oiseau. Une heure après, je remarque dans les jumelles qu’il a toujours les yeux bien ouverts dans une autre direction. Je ne crois pas que cette journée sera de tout repos pour lui à cause des vents. Ma présence n’avait pas l’air de le déranger puisqu’il ne me portait aucune attention, mais j’ai tout de même décidé de le laisser se reposer tranquillement.



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Retour en fin de journée vers mes deux hiboux. Ils sont encore exactement au même endroit. La soirée se passe exactement de la même manière que la veille. Une longue attente, le coucher de soleil arrive, la nuit tombe sans que personne ne bouge. Je suis frigorifié. L’humidité mixée au vent me transperce le corps. Je me prépare une soupe asiatique chaude pour le souper et me couche ensuite.


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Réveil à -14 degrés. Ma barbe et le pourtour de mon sac de couchage sont gelés. Bien confortablement au chaud dans le sac, j’enfile mes vêtements gardés au chaud près de moi. Vient ensuite le moment redouté : sortir du sac pour démarrer la voiture. Je devrais vraiment installer un démarreur à distance! Démarrer la voiture est bien pratique. Je peux charger mon téléphone et mes batteries, sécher mes vêtements et mes bottes en plus de me réchauffer. Disons que ça aide à mieux partir la journée.


Retour sur place où j’effectue le même parcours que les deux jours précédents. Le même premier hibou des marais est encore au même endroit. Exactement au même endroit, comme dans à moins d’un centimètre de la veille. Assez incroyable. La lumière ce matin est diffuse, le temps est très nuageux. Je ne retrouve pas d’autres hiboux au courant de cette matinée. Je cherche pendant plusieurs heures et décide d’aller prendre une pause pour le milieu de journée.


Je commence à trouver le périple épuisant. Le poids des équipements, le temps froid, les nuits peu reposantes. Mais je sens tout de même que je suis près du but. J’ai trouvé les oiseaux que je veux photographier, il ne me manque que le moment. Ceci dit, j’apprécie énormément ce moment en présence de magnifique oiseau et suis extrêmement reconnaissant de cette rencontre.


Retour sur place en fin de journée. La lumière est sublime, aucun nuage. Une buse à queue rousse passe son chemin tout près, un faucon crécerelle fait de même. L’emplacement est vraiment riche en nourriture pour ces rapaces. La veille, j’ai également aperçu des traces de coyotes.



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Le soleil se couche, le ciel est rouge orangé, c’est magnifique. Le hibou lui, toujours bien endormi. Je imagine mes images. Je regarde la cime de petits sapins qui se détachent du ciel et j’y verrais bien un hibou. Ah, il faut bien rêver parfois.


Le temps avance et cela fait maintenant une heure que le soleil est couché. Depuis 30 minutes, je me dis « ahhh encore 5 minutes ». Et là je me dis « ahhh encore 5 minutes mais là c’est pour vrai ». Je distingue à peine la forme du hibou dans son arbre. Je regarde parfois dans le viseur pour voir s’il est bien encore là. Le comble serait qu’il soit parti sans que je ne m’en aperçoive. Je remarque que l’oiseau commence à se nettoyer. C’est bon signe! Puis, je le vois déféquer. C’est LE SIGNE que j’attendais. Les oiseaux de proie défèque toujours avant de décoller. Puis en un coup de vent, il est parti.


Je ne le perds pas des yeux. Je ne dois pas le perdre des yeux. Ils ont l’habitude de quitter leur dortoir pour se poser ailleurs avant de partir officiellement à la chasse. Il se pose sur un grand arbre à une vingtaine de mètres de moi. C’est le moment que j’attendais. Derrière lui, le ciel est sombre. Derrière moi, il y a la ville au loin. Je sais que si je veux réaliser l’image que j’ai en tête depuis la première minute où je suis arrivé, je dois le contourner et monter sur la butte derrière lui pour me mettre à sa hauteur et ainsi avoir la ville comme arrière-plan. Je me déplace doucement, en faisant bien attention que mes pas fassent le moins de bruit possible. Le vent a soufflé toute la neige fraîche et il ne reste qu’une croûte glacée très bruyante. L’oiseau n’a pas trop l’air de s’en soucier.


Je réussi donc à contourner le hibou des marais et je monte tranquillement la colline. Je fais toujours face à l’oiseau au cas où il décollerait pour que je puisse voir la direction qu’il prendrait. Sous mes yeux, l’image se forme. Plus je monte la petite colline, plus l’image se matérialise. Je le vois d’abord à travers mes yeux, puis je lève l’appareil et cadre l’image dans le viseur. La lumière est maintenant extrêmement faible. Je ne cherche pas une image documentaire où je vois bien le détail de l’oiseau de toute manière. Je baisse ma vitesse d’obturation et augmente ma sensibilité. L’image est là, et clic. Je n’ai aucune idée de combien de temps le hibou restera sur sa perche.


Je prends plusieurs images avec mon 120-300mm. Une fois que j’ai une belle image dans la boite, je me permet de sortir le 400mm et le trépied. Le hibou est toujours en place. Je réalise quelques images supplémentaires. Le hibou émet alors un petit son, un petit cri, puis s’envole pour disparaître dans la nuit. Un aurevoir? Qui sait. Je lui chuchote un merci bien senti. Je m’assoie deux minutes au sol pour réaliser ce qui vient de se passer.



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Après trois jours à imaginer une image, trois jours à geler, complètement épuisé et le dos bien endolori, ce hibou m’a offert un magnifique cadeau. J’aime m’imaginer que pendant le temps passé avec lui, il a pu voir que je n’étais pas une menace. Lorsqu’il s’est posé sur l’arbre, peut-être s’est-il dit en me voyant le contourner que je n’étais pas une menace et qu’il n’avait pas à me craindre. Qu’il n’y avait pas de quoi s’enfuir. Qui sait?



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