Départ en soirée. Un dernier au revoir à la famille avant ce périple d’une semaine. Plus je voyage, plus je me rends compte qu’il est difficile de laisser derrière le confort routinier de la maison. Passer du temps en famille, répondre confortablement aux courriels assis à mon bureau, retoucher les images des derniers mois. Une routine agréable s’installe, mais il y a toujours cette petite pensée qui m’appelle à retourner en nature.
Direction cette fois-ci : la Côte Nord. But de l’aventure : photographier la faune. Je ne pars pas très longtemps pour une si grande région. Mes destinations sont ciblées pour favoriser les rencontres, mais au final je ne sais pas vraiment ce que je vais rencontrer ni la manière dont je vais le faire.
Je quitte donc mon nid familial pour une longue route. J’ai décidé de passer la journée à la maison et de quitter en soirée pour éviter d’être sur la route en même temps que les centaines de touristes. On peut se le dire : voyager sur la route durant les semaines de la construction est une réelle douleur. Ceci dit, certaines espèces ne sont actives qu’à ce moment de l’année alors il faut faire avec. Je n’ai pas l’habitude de beaucoup photographier durant la saison estivale. Je préfère de loin les saisons plus froides du printemps et de l’automne. Les couleurs, la température, l’afflux minime de touristes, l’absence d’insectes piqueurs, toutes des qualités qui font que je reste tranquille durant l’été habituellement. Mais comme je le mentionne, certaines opportunités s’offrent à moi et je dois en profiter.
La route pour monter se passe bien. Beaucoup de construction sur le trajet mais être le soir fait en sorte que l’attente est moindre. J’arrête souper à La Malbaie au belvédère avec une vue sur le village. Le temps est frais, 14 degrés au compteur. La traverse de Baie-Ste-Catherine / Tadoussac se fait facilement, il n’y a que quelques voitures et camions et j’arrive 5 minutes avant l’embarquement. J’ai fait l’erreur l’année dernière de prendre la traverse en fin d’après-midi… J’ai attendu 2h15 avant de pouvoir enfin embarquer sur le bateau. On apprend de ses erreurs.
Je continue la route jusqu’à quelques dizaines de kilomètres avant Baie Comeau. Il est maintenant minuit, le sommeil m’appelle. Je me stationne dans une halte routière, le déplie la tente de toit de Vert l’Aventure et hop, quelques heures de sommeil.
Réveil aux petites heures du matin, le soleil me frappe le visage intensément. Je fais rarement la grâce matinée dans la tente. Ironiquement, moi qui fait toujours des siestes d’après-midi dans la tente, je ne peux tolérer la lumière du soleil après une nuit à dormir. Je devrais m’acheter un loup. Je me dis ça depuis 5 ans…
Je reprends la longue route qui m’amènera loin, très loin. J’arrive enfin en fin d’après-midi à ma première destination : le bois. En fait, je ne suis pas vraiment dans le bois. Ici, c’est la taïga. Parfois, ce sont de petites épinettes cordées serrées. D’autres fois, de la tourbière à perte de vue. Des lacs, des arbres brûlés par le dernier feu de forêt. Je devrais dire que je suis arrivé à ma première destination : le sauvage. J’avais besoin de me retrouver loin des gens, loin du bruit incessant des voitures et des camions. Je me suis posé dans un ancien chemin qui mène à des bâtiments abandonnés. Je serai tranquille, ce n’est pas super exotique, mais au moins je serai tranquille. C’est difficile de se trouver un endroit calme pour se poser, car ici, le territoire est immense et tellement difficile d’accès. Avec la tente posée sur la voiture, j’ai également besoin d’un chemin et d’une petite aire ouverte pour me stationner et monter le campement.
Je prépare l’endroit : j’installe ma tente, ma table, ma toilette. Je prépare mes caméras. Ici, ce sera mon point de départ pour explorer ce premier secteur. Ça augure plutôt bien, car sur le petit chemin de sable menant à mon emplacement, des traces de renards et de loups sont visibles au sol. Les traces de loups datent un peu, mais celles du renard sont fraîches. Comment je le sais? Il a plu 2 jours auparavant.
Je me cuisine un petit souper rapidement. Cuisiner est un grand mot, car lorsque je pars, disons que mon alimentation est plutôt rudimentaire. Le tout tourne autour du pain : sandwiches aux cretons pour déjeuner, sandwiches au jambon pour dîner, et habituellement des pâtes rapides pour souper. Quelques légumes, fruits, fromages au travers de tout cela.
Je pars donc en quête de … je ne sais trop quoi. Je serais aussi satisfait d’une belle photographie d’un mésangeai du Canada, d’un bruant, d’un renard ou d’un loup. J’ai arrêté de me faire des attentes lors de mes périples il y a bien longtemps. J’apprécie l’expérience, le moment, et si je fais des photographies, tant mieux. Si je n’en fais pas, tant pis je reviendrai l’année prochaine. Ceci dit, dans ce secteur ci l’année dernière, j’ai fait la rencontre d’une famille de renard roux dont la femelle était atteinte de mélanisme, c’est à dire que son pelage est noir. Un renard argenté (ou charbonnier comme les cousins français l’appellent).
Le temps est plutôt chaud, autour de 20 degrés. Aucun nuage dans le ciel, la lumière commence à être bonne. Je fais à peine 250m que je tombe sur des traces de renards. Beaucoup de traces de renards. Des petites, des plus grosses, on dirait que le sol a été piétiné par plusieurs renards, pendant plusieurs minutes, voire plusieurs heures.
Je déclic immédiatement. Un renard de passage laisse une trace, peut-être deux s’il a fait un aller/retour. Ici, clairement il y a une tanière à proximité. Je pose le sac, je commence à chercher. Je trouve un petit monticule de sable excavé d’un button, bingo. Il n’y a pas de traces à proximité, mais clairement c’est une tanière. Les renards ont souvent cette habitude de creuser plusieurs tanières à proximité les unes des autres. Parfois, les renardeaux sont dans une, parfois dans l’autre.
Je cherche une autre tanière, mais sans succès. La forêt est dense, impossible de s’y aventurer. Je marche présentement sous une ligne à haute tension plutôt aisément. Je me pose, et j’attend. Le renard est l’espèce que je préfère de loin photographier. Ils sont charismatiques, expressifs, souvent curieux, et tellement beaux.
Il est maintenant 19h, le soleil descend tranquillement sur l’horizon qu’il traversera dans une heure. Au loin, j’aperçois une toute petite silhouette sombre qui s’approche. Les endroits comme les chemins forestiers ou les lignes à haute tension sont de bons endroits pour observer la faune. C’est plus facile pour tout le monde de se promener dans un endroit dégagé. La silhouette me paraît de taille moyenne, ce n’est définitivement pas un loup. Plus elle s’approche, plus je réalise ce que j’ai devant les yeux : un renard argenté. Serait-ce cette femelle de l’année dernière?
J’étais déjà accroupie, je me couche au sol. Je saisis le 400mm et je prépare la mise au point pour que lorsque le renard sera à portée de photographie, je commence à déclencher. L’animal a la gueule remplie de nourriture. Je ne vois pas très bien ce que c’est, puisqu’il passe tout près de moi au pas de course. Je ne semble pas le déranger, il passe tout simplement à côté en me regardant du coin de l’œil. Je suis maintenant persuadé que c’est la renarde de l’année dernière. Exactement le même comportement, le même physique, la même attitude.
Je me déplace lentement, je la vois entrer dans les hauts arbustes. J’entend le bruit du feuillage qui marque son passage. Puis, plus rien. Elle n’a pas pris la direction de la tanière repérée dans le button, mais plutôt la direction inverse. Une petite clarière remplie de broussailles et d’arbustes, impossible de voir où elle est maintenant.
J’attends, je suis encore couché au sol. Elle ressort au bout d’un moment. Elle monte sur un petit tas de sable, et elle s’y couche. Elle enfonce son museau entre sa queue et son corps. Elle dort. Dans les premières minutes, je vois facilement qu’elle est aux aguets. Ses oreilles bougent de temps en temps. Mais au bout de quelques minutes, je sens vraiment qu’elle s’est endormie. Elle est là, à quelques mètres de moi.
Plusieurs dizaines de minutes passent, puis elle lève la tête. Les oreilles sont bien droites, et pointe dans la direction d’où elle arrivait tout à l’heure. Elle s’assied, la tête et les oreilles toujours vers le même endroit. Couché au sol, je ne vois rien. Je décide de me lever tranquillement. J’observe le comportement de la renarde, qui semble ne pas du tout prendre compte de ma présence. Je me relève donc complètement, et j’aperçois au travers des broussailles deux petites silhouettes de renardeaux. Deux renardeaux au pelage croisé, un mixe entre le pelage argenté et le pelage roux. Ils sont si beaux. J’avais aperçu à seulement 2 reprises des renards croisés, une fois à la Baie James et une fois dans les Maritimes. Mais jamais depuis je n’en avais recroisé.
Visiblement, il s’agissait de la progéniture de la renarde. Elle les gardait bien en vue, mais prenait une petite pause d’eux. Quand on devient parent, on comprend facilement la faune qui a ce genre de comportement. Je capte quelques images, puis je me retire puisque je suis presque entre la mère et les bébés. Puis, sur le côté, un autre petit renard se pointe le bout du nez. Celui-là est complètement roux. C’est toujours fascinant de voir que même étant frères et sœurs, ils peuvent être si différents au niveau du pelage.
Je ne semble pas déranger personne, mais je reste quand même un élément nouveau dans l’environnement. Une chose est sûre, je sais où je vais passer les prochains jours. Les renardeaux finissent pas sortir et aller rejoindre leur mère. Ils sont donc trois : deux croisés et un roux. Le bonheur total. Je prends mon temps pour qu’ils tolèrent bien ma présence. Je me déplace doucement, lentement, mes mouvements sont lents et fluides, et la famille m’accepte assez rapidement. La lumière est sublime. Elle est chaude, horizontale, parfaite pour des animaux à poils comme les renards.
Les petits sont beaux à voir, Ils fouinent un peu partout. Leur mère a sans doute caché sa nourriture pour les pousser à chercher par eux-mêmes. Je suis témoin de plusieurs scènes plus magnifiques les unes que les autres. Ayant la confiance de la mère, les petits ne sont maintenant plus du tout intéressés par ma présence. Ils passent près, sans se soucier du tout de moi.
Le soleil passe finalement sous l’horizon. La mère est repartie à la chasse. Les renards sont maintenant à proximité de la tanière que j’avais trouvé plus tôt dans la journée. C’est la fin de journée pour tout le monde. Je retourne vers le campement le cœur gros. Quel moment ce fût! Tout simplement incroyable. La nuit et la fraîcheur arrivent rapidement, une petite collation et déjà, le sommeil m’appelle. Je n’ai pas beaucoup dormi la nuit dernière, mais ce sera difficile de s’endormir avec toutes ces belles images qui défilent dans ma tête.
Comentários