Le son de l’alarme est tellement agressant. J’ai plutôt mal dormi. Les insectes piqueurs sont très présents ici à cette période de l’année. Je suis entouré de forêts et de tourbières, comment s’imaginer avoir la paix avec les moustiques. Ils sont particulièrement intenses. Je porte chaque jour un filet sur ma tête, un chapeau, des vêtements longs. Le hic c’est qu’ils te piquent même au travers de tes vêtements. Ils te piquent sur le peu de peau qui est à l’air libre : les mains, le bas des chevilles lorsque les pantalons remontent un peu, le bas du ventre lorsque je me contorsionne au sol. Mais bon, le prix en vaut la chandelle. Je peux bien donner quelques litres de sang pour faire quelques belles photographies! Mais bref, j’ai plutôt mal dormi car quelques moustiques se sont introduits dans la tente.
Ils sont furtifs. Lorsque tu es éveillé, ils ne volent pas, ne font pas de bruit. Mais dès que tu t’assoupis, bamm le buffet est servi. Les nuits sont fraîches, mais j’aime bien dormir avec simplement une couverture à moitié abrié. Mais le pire, c’est lorsqu’ils volent tout près de tes oreilles. J’ai le sommeil plutôt léger, n’en suffit pas de plus pour que je me réveille au moindre bourdonnement annonçant une nouvelle piqûre.
J’éteins l’alarme et j’ouvre l’œil. Je regarde par la petite fenêtre, l’ambiance est complétement folle. Je vous ai raconté dans le précédent texte que je dors littéralement à 250m de l’endroit où j’ai trouvé les renards. Je m’imagine déjà les petites boules de poil s’animer dans la brume ambiante. Le ciel est complètement dégagé, et il viendra illuminer le brouillard d’une manière que je sais déjà majestueuse.
Je m’installe dans la voiture. Pour déjeuner, fruits à boire et sandwiches aux cretons et moutarde. Je savoure ce moment pénard. Assis dans la voiture, je déguste un savoureux repas en me disant que bientôt, ce sera moi le repas. Vous savez ce que je veux dire.
À l’extérieur, tout est mouillé. La rosée du matin a déposé une épaisse couche d’humidité sur tout ce qui se trouve à l’extérieur. Je m’imagine ces gros ronds de bokeh illuminés par le soleil.
J’aime bien m’imaginer des photographies dans ma tête. Après, lorsqu’une situation se présente à moi, c’est plus facile de photographier un sujet car je sais déjà ce que je veux photographier. Encore faut-il que l’animal se présente. Lorsque je suis dans une situation telle que celle-ci, j’aime bien me concentrer à 100% sur la prise de vue que je veux faire. Ici, définitivement, ce sont ces renards au pelage que j’ai jamais encore pu capturer avant ce périple. Alors pas question, pour le moment, de s'éparpiller et d’aller ailleurs faire d’autres photographies.
Je me poste donc au même endroit que la veille. Et l’attente débute. C’est pas mal lorsque j’attend, je peux ranger mes mains dans mes poches et ainsi éviter quelques piqûres. Le soleil monte dans le ciel, et toujours rien. Voilà maintenant trois heures que le soleil est passé au-dessus de l’horizon et toujours rien. Je plis bagage. Je préfère mettre mes efforts sur des périodes où la lumière est belle et profiter du reste de la journée pour apprécier l’endroit, pour travailler et pour me reposer.
L’air est encore frais. Je décide d’aller marcher, sans caméra, sur la route de gravier qui n’est pas trop loin. J’aime bien me balader sans caméra. On se sent nu, comme si l’on avait oublié son pantalon avant d’aller à l’école (on a tous déjà fait ce rêve). Mais ici, ça me libère l’esprit. Que ce soit conscient ou pas, lorsqu’on a une caméra dans les mains, on regarde le monde en fonction de faire des photographies. Sans appareil photo, j’ai la tête tranquille, elle vagabonde, je me fais des scénarios, mes sens sont concentrés sur autre chose que de déceler le mouvement d’un animal.
C’est la floraison des fleurs sauvages. L’odeur envahit l’air ambiant. Ça sent super bon, j’aimerais bien pouvoir capter l’odeur pour la partager mais ce n’est pas possible. C’est dommage car lorsqu’on se retrouve en nature, tous les sens sont en éveil : la vue, l’odorat, le toucher, l’ouïe. C’est une expérience complète.
Je retourne au camp. Je sors le panneau solaire : c’est le temps de faire charger les batteries. Le soleil de plomb du mois de juillet a au moins cet avantage : il recharge rapidement. Nul pour la photographie, il chauffe le toit de la tente noir (en plein été, on dirait un sauna), il grille ma peau dans le temps de le dire. C’est l’heure de la sieste. Quelques heures supplémentaires dans la journée me permettront de recharger mes batteries.
Les journées d’été sont longues. Lors d’une journée ensoleillée, on a deux heures de belle lumière le matin, deux heures le soir, et entre ces périodes s’écoulent plusieurs heures. Comme je sais que je n’ai pas à me presser, je ne programme pas d’alarme. On apprécie ces petits moments comme se réveiller au son des oiseaux au lieu d’une sirène de bateau qui imite à la perfection mon téléphone.
J’ai encore quelques heures devant moi avant que la lumière ne baisse. Je lis plusieurs pages du roman Kukum de Michel Jean, je prépare le souper, j’écris ces lignes que je vous présente, je fais quelques Sudokus. Bref, je passe le temps. L’air est bon, la température agréable, de vraies vacances quoi…
C’est l’heure. En fait, la lumière sera belle dans deux heures, mais il est temps d’aller se poster et d’attendre. Les renards ont de longues périodes d’activité, mais les périodes d’inactivité peuvent être encore plus longues. Je ne voudrais surtout pas arriver alors que les petits rentrent dans leur tanière et que la mère part à la chasse.
J’arrive sur place, la mère est couchée sur un button de sable. La lumière est moche, rien ne sert de s’approcher et de tenter de faire quelques images. Vaut mieux attendre sans déranger et apprécier d’être en la présence d’un si bel animal. J’aperçois un peu plus loin le renardeau roux qui se promène. Il creuse à plusieurs endroits, sans doute en quête de proies que ses parents ont dissimulées. Il est seul, aucun signe de la présence des 2 autres. Ils ne sont pas à l’extérieur des deux terriers, c’est l’heure de la sieste visiblement. J'attends un peu que le temps passe, le soleil descend tranquillement sur l’horizon et la lumière devient de plus en plus intéressante.
Avec le temps et les nombreuses rencontres avec la faune, je préfère profiter du moment lorsque je sais pertinemment que je ne ferai pas de belles images. Je n’ai pas vraiment d’intérêt à ramener des photographies chez moi que je sais très bien que je n’utiliserai jamais. Ou même, que je regarderai jamais par la suite. Alors je ne photographie pas dans ce temps là, j’apprécie d’être là tout simplement.
La lumière étant plus basse, je commence quelques images du renardeau. Il est plutôt joueur et curieux. C’est beau la naïveté. Je lui croque quelques portraits. Ses traits sont fins. Son museau est mince, une taille de guêpe, sa queue peu fournie. C’est l’été et beaucoup pensent, à tort, que les renards sont minces car ils mangent peu. Or, c’est simplement leur taille normale pour ce moment-ci de l’année. Ils prendront du poids et leur fourrure deviendra plus épaisse à l’approche de la saison froide.
Cette soirée-là, ce fût toutes les images que je capterai. La mère partit à la chasse, le jeune resta quelques minutes supplémentaires et retourna au terrier. Je reste sur place, au cas où quelque chose arriverait. C’est le calme plat. Le calme plat excepté les silements des maringouins qui me tournent autour des oreilles. J’aperçois une silhouette au loin qui s’approche et s’arrête soudainement. Un renard. Je prends mon 400mm et je prends une image. En zoomant dans celle-ci, je me rends compte qu’il s’agit d’un renard croisé adulte. Le mâle probablement. L’année dernière, c’est un roux borgne qui était la douce moitié de notre femelle argentée. Cette année, elle a sans doute changé de partenaire car il connaît visiblement le coin. Il reste figé là-bas. J’en déduis qu’il est moins à l’aise avec ma présence que ne le sont les autres. Je décide donc de quitter et d’aller me reposer.
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